Elle s'appelait Douchka, elle avait une chevelure épaisse et brune, plutôt emmêlée et sèche, mais je l'aimais telle qu'elle était. Je la serrais contre moi en prenant soin de poser son visage dans mon cou pour les câlins que nous nous offrions. Je ne la couchais pas n'importe où, évitant les ornières lors des promenades dans la poussette que j'avais reçue à Noël. J'avais trois ou quatre ans, elle était ma fille, j'étais sa maman, les gestes me venaient naturellement, sans les avoir pu observer.
Le temps n'a fait qu'enfler cette fibre maternelle qui me soufflait comme seul projet de carrière que je créerais la vie. J'ai demandé ma dernière poupée à treize ans. Elle avait la taille d'un nouveau-né et j'ai reçu le trousseau qui allait avec mon bébé. Les saisons se sont succédé et m'ont laissé cette incapacité à laisser mes "petites" dormir dans le froid du grenier sans couverture, dans la chaleur avec un gros manteau.
Errant seule en traînant les pieds pour aller au lycée, je suis passée devant une maison où l'on attendait une naissance. J'ai vu s'entasser les emballages du berceau, du couffin, de la poussette... et j'ai pleuré, tant ces objets réveillaient des sentiments pas même endormis. Je vivais la certitude de vouloir une grande famille.
Mon choix d'étude a été dicté par ce désir charnel. En devenant orthophoniste, j'apprendrais à affiner mes évidences.
Et puis le sort m'a jetée en pâture. J'ai donné la mort en sacrifiant une vie. Ma première preuve d'amour maternel a été de priver d'avenir ce petit à qui je n'aurais pu offrir ce qui me semblait essentiel. J'ai vu son coeur battre plus vite que le mien. J'ai vu cette promesse d'éternité qui bruissait sous mes mains. J'ai mesuré la peur, l'ampleur de ce qui n'était que présupposé.
Mon choix d'amour a été dicté par cette attente archaïque. J'ai contourné des passions qui n'auraient pu devenir père.
J'ai failli mourir de manque d'amour, indigne d'être l'âme d'un autre, indigne d'être mère, indigne d'être moi.
Quand la foudre s'est abattue sur moi, j'ai su qu'Il serait le père de mes enfants. Il n'en voulait pas. Je n'en voulais plus... Et ce qui s'écrivait en collier de peurs a frissonné comme une évidence... Eloi est né, le 15 octobre d'il y a dix ans. Me voyant mettre au monde, sans un bruit, au plus profond de moi-même, la sage-femme m'a murmuré "vous êtes faite pour ça"... Je l'avais toujours su mais j'ignorais combien cette certitude s'étendrait par elle-même. Avec cette première maternité, je suis devenue femme, j'ai apprivoisé mon corps, je l'ai montré même. J'ai donné mon lait, j'ai donné mon temps. J'ai reçu bien plus.
Je le cherchais pourtant, ce petit deuxième qui est arrivé, comme son aîné, juste au moment de notre désir. Fantin est né, tout en douceur... La fusion s'est faite plus intense. Mes fibres étaient encore plus douces, encore plus libres...
Je cherchais encore, autour de moi, le corps de celui ou celle qui manquait à notre ronde. Ondine nous a rejoints, comme ses frères, quand nous l'avons appelée.
J'ai voulu croire que ma raison serait plus forte, que notre confort dicterait la fin du chapitre. Mais mon instinct est devenu amertume. Et puis larmes, à la seule visite d'une amie qui venait de mettre au monde son cinquième petit. J'ai su que je garderais, à jamais, ce regret de ne pas avoir un autre enfant... Le désir s'est balancé avec des arguments matériels. Cela me faisait horreur, mais il nous fallait faire attention à ne pas compromettre le fragile équilibre... Et puis, notre quatrième a commencé sa route, fragile et vite essoufflé, il nous a abandonnés sur le bord de sa vie, s'endormant sans que personne ne puisse attraper le dernier battement de son coeur. Mon chagrin chantait le refrain du jamais plus... quand Adélie s'est invitée entre nous, à peine un mois après la blessure de mon corps...
Je n'aurais pu me consoler de ne pas avoir vu mon corps accueillir cette métamorphose, de ne pas les avoir rencontrés, de ne pouvoir trouver en eux une partie de lui, un soupçon de moi, de me dire que mon passage ici ne puisse laisser que des mots...
Le temps n'a fait qu'enfler cette fibre maternelle qui me soufflait comme seul projet de carrière que je créerais la vie. J'ai demandé ma dernière poupée à treize ans. Elle avait la taille d'un nouveau-né et j'ai reçu le trousseau qui allait avec mon bébé. Les saisons se sont succédé et m'ont laissé cette incapacité à laisser mes "petites" dormir dans le froid du grenier sans couverture, dans la chaleur avec un gros manteau.
Errant seule en traînant les pieds pour aller au lycée, je suis passée devant une maison où l'on attendait une naissance. J'ai vu s'entasser les emballages du berceau, du couffin, de la poussette... et j'ai pleuré, tant ces objets réveillaient des sentiments pas même endormis. Je vivais la certitude de vouloir une grande famille.
Mon choix d'étude a été dicté par ce désir charnel. En devenant orthophoniste, j'apprendrais à affiner mes évidences.
Et puis le sort m'a jetée en pâture. J'ai donné la mort en sacrifiant une vie. Ma première preuve d'amour maternel a été de priver d'avenir ce petit à qui je n'aurais pu offrir ce qui me semblait essentiel. J'ai vu son coeur battre plus vite que le mien. J'ai vu cette promesse d'éternité qui bruissait sous mes mains. J'ai mesuré la peur, l'ampleur de ce qui n'était que présupposé.
Mon choix d'amour a été dicté par cette attente archaïque. J'ai contourné des passions qui n'auraient pu devenir père.
J'ai failli mourir de manque d'amour, indigne d'être l'âme d'un autre, indigne d'être mère, indigne d'être moi.
Quand la foudre s'est abattue sur moi, j'ai su qu'Il serait le père de mes enfants. Il n'en voulait pas. Je n'en voulais plus... Et ce qui s'écrivait en collier de peurs a frissonné comme une évidence... Eloi est né, le 15 octobre d'il y a dix ans. Me voyant mettre au monde, sans un bruit, au plus profond de moi-même, la sage-femme m'a murmuré "vous êtes faite pour ça"... Je l'avais toujours su mais j'ignorais combien cette certitude s'étendrait par elle-même. Avec cette première maternité, je suis devenue femme, j'ai apprivoisé mon corps, je l'ai montré même. J'ai donné mon lait, j'ai donné mon temps. J'ai reçu bien plus.
Je le cherchais pourtant, ce petit deuxième qui est arrivé, comme son aîné, juste au moment de notre désir. Fantin est né, tout en douceur... La fusion s'est faite plus intense. Mes fibres étaient encore plus douces, encore plus libres...
Je cherchais encore, autour de moi, le corps de celui ou celle qui manquait à notre ronde. Ondine nous a rejoints, comme ses frères, quand nous l'avons appelée.
J'ai voulu croire que ma raison serait plus forte, que notre confort dicterait la fin du chapitre. Mais mon instinct est devenu amertume. Et puis larmes, à la seule visite d'une amie qui venait de mettre au monde son cinquième petit. J'ai su que je garderais, à jamais, ce regret de ne pas avoir un autre enfant... Le désir s'est balancé avec des arguments matériels. Cela me faisait horreur, mais il nous fallait faire attention à ne pas compromettre le fragile équilibre... Et puis, notre quatrième a commencé sa route, fragile et vite essoufflé, il nous a abandonnés sur le bord de sa vie, s'endormant sans que personne ne puisse attraper le dernier battement de son coeur. Mon chagrin chantait le refrain du jamais plus... quand Adélie s'est invitée entre nous, à peine un mois après la blessure de mon corps...
Je n'aurais pu me consoler de ne pas avoir vu mon corps accueillir cette métamorphose, de ne pas les avoir rencontrés, de ne pouvoir trouver en eux une partie de lui, un soupçon de moi, de me dire que mon passage ici ne puisse laisser que des mots...
tres touchèe par ce que je viens de lire.C'est tres bien ècris.
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