jeudi 27 septembre 2007

BOUGE TON CORPS

BOUGE TON CORPS
Nous venons d'entamer une semaine consacrée à la manutention des corps. C'est à ces moments-là que je sens que je rentre dans ma vie, dans cette excitation à sentir ce besoin délaissé de conjuguer l'exercice du corps & l'ouverture du "mental". J'ai ce côté "churchillien" de m'écrier "no sport" & pourtant j'ai le plus souvent opté pour des jobs "physiques", moins pour des capacités sportives que pour cet étrange sentiment de se sentir vivant quand mon corps est en souffrance. J'aime ce partage de cette souffrance dans ces efforts collectifs où chacun doit donner cette part de lui-même, sa contrie/bution. Avant d'aller bosser, je m'évertuais à faire des séries de tractions, emporté dans un élan imprécis, de faire le vide en soi avant de se consacrer à ces rencontres chaque fois différentes avec des "patients" & d'avoir cette préoccupation d'être suffisamment solide.
Depuis une semaine, je me rends compte qu'il y a encore du boulot, surtout du côté de la souplesse. Nous faisons des séances d'échauffements coachés par de jeunes femmes "sorties de club d'aérobic" souples & toniques. Je ferme l'oeil devant l'élasticité de ces corps non pour contenir un "désir" mais cette jalousie devant des corps presque parfaits (je veux bien glisser des fleurs mais quand même pas des bouquets).
Il me faut revenir à ces slogans de 68 "être réaliste & demander l'impossible". À toutes les fibres de mon corps pour tenir quelques années, suffisamment solide.
Je crois que je devrais m'entourer d'un coach mais je n'ai jamais vraiment goutté aux salles de gym!

mercredi 26 septembre 2007

POINT DE VUE , DEUX FEMMES.

Pas d'enfant dis-je
http://www.outrelande.net/blog/

jeudi 13 septembre 2007 :: Paysages intérieurs :: # 134 :: Fil RSS

Le désir d'être mère m'a parfois traversée, mais j'ai eu assez tôt cette conviction que je ne désirais pas d'enfant. D'enfant je n'en ai pas conçu, à présent je n'en aurai plus et je suis plutôt contente de penser que ce ne sont pas les circonstances qui ont décidé pour moi. Je peux dire aussi que je n'ai pas de regrets et, à moins de changer du tout au tout, je ne crois pas souffrir d'un manque en vieillissant. Ma vie, c'est à moi de la faire.

Que dire de mon non-désir d'enfant ? Ce n'est pas facile. Ce billet est sur le feu depuis un petit moment. Je le reécris, je l'ai trouvé trop abrupt alors que l'ambivalence est aussi présente. Mais là, j'ai envie de le larguer tel que. J'ai bloqué aussi car j'ai souvent été interpellée, en plus par des personnes que cela ne regardait en rien, alors que le désir d'enfant reçu comme "naturel" et comme une expression de l'amour, n'est guère questionné. J'ai eu droit aux bons conseils, à la suspicion et à la fausse compassion. Sauf à revendiquer je n'ai pas d'enfant parce que je n'en veux pas qui cloue définitivement le bec aux bonnes âmes, mais n'est pas toujours facile à affirmer.

Préciser d'abord quand même que je n'ai jamais pensé qu'un enfant serait pour moi une contrainte m'empêchant de faire ce que j'avais décidé (et pourtant, c'est). Et que j'avais peu de réticences à projeter un enfant dans un monde qui n'a rien d'accueillant.
Par contre, avoir un alien dans le ventre ne me disait rien du tout, je me demandais comment j'allais supporter une vie en moi, je n'ai pas d'attirance pour l'état de femme enceinte. Ni pour les bébés dont la dépendance me met mal à l'aise.
La maternité triomphante, la glorification de l'enfant support d'accomplissement de soi, la fadaise de l'instinct maternel m'exaspèrent. Mais pas plus finalement que toutes ces représentations de la femme - mére, superwoman, amante, épouse, belle, jeune... -, qui nous sont jetées en pâture et qui sont autant de carcans où s'emprisonner, d'infernales contradictions où s'enferrer.

Par ce refus de la maternité, j'ai évidemment jugulé une angoisse. Séparée avec violence de mon père quand j'avais 3 ou 4 ans, confrontée à une histoire familiale où l'abandon a tapé fort, ayant symbolisé la déchirure par ma naissance, poursuivre la chaîne des ruptures me faisait peur. J'avais cette peur que l'arrivée d'un enfant ne fasse éclater mon couple mais surtout que dans ma violence, enchaînée dans l'absurde de la répétition, je ne coupe irrémédiablement les liens entre l'enfant et le père. J'ai souhaité très vite fuir la vie de famille pour ne plus avoir à en souffrir. Ne m'inscrire dans aucune lignée, ne pas me marier, ne pas entrer dans une autre famille, ne pas "avoir" d'enfants. Sans doute aussi que, ayant toujours plus ou moins pensé que ma mère m'avait abusivement privée de mon père, je n'étais pas mécontente de la priver à mon tour des petits-enfants qu'elle espérait. Trancher court, toujours. Ne pas oublier, ne pas pardonner, souvent.

Mais c'était aussi bien sûr une affaire de couple. J'ai rencontré jeune celui qui a fait que nous avons été ensemble à deux et si bien ensemble, si proches. Peut-être n'a-t-il pas voulu faire valoir son désir sur mon non-désir car il a toujours été attentif à ne rien m'imposer, mais il n'a pas non plus cherché à me rassurer et, investi tout entier dans l'écriture, il ne s'est jamais montré plus impliqué que ça dans la paternité. Nous ne nous étions quand même pas rencontrés par hasard. Et qu'aurions-nous fait d'un enfant entre nous ? Nous n'en n'avions pas besoin. En quête chacun de nous-même, nous trouver et nous comprendre l'un par l'autre était ce qui nous importait. C'est bien grâce à lui et avec lui que j'ai pu accepter mon histoire, ne plus en avoir honte, dénouer certains noeuds. Nous aimions tant nous parler et être l'un avec l'autre. C'est l'enfant qui était en chacun de nous que nous avons aussi aimé et fait revivre.

Et puis, et puis, l'esprit de révolte contre ce qui est établi m'a toujours animée pour le meilleur et le pire, et je lui paie peut-être un tribut. J'ai baigné dans la mouvance féministe, j'ai accompagné les revendications des féministes. C'est pour moi une victoire et une jouissance de pouvoir poser mes actes et faire mes choix de femme en essayant de ne pas me plier aux contraintes morales, religieuses, sociales, machistes. Je veux vivre dans la conscience que mon corps est à moi, que ma sexualité est à moi, que je peux dire oui ou non à un homme, oui ou non à la maternité, à la contraception, à l'avortement.

Les jugements sur le refus d'enfanter me font toujours horreur, la non-maternité n'est quasiment abordée que sous l'angle de l'a-normalité. Que l'on puisse taxer les femmes qui ne désirent pas d'enfant d'être égoïstes, narcissiques, de fuir les responsabilités, de vouloir rester les filles de leur mère, et cerise sur le gâteau de ne pas être épanouies en tant que femmes, d'être qui sait frigides ou nymphomanes, et au final de se trouver carrément à l'ouest... continue à m'enrager.

Je voudrais tout simplement entendre que désirer ne pas faire d’enfant c’est toujours désirer, ce n'est pas refuser un désir d'enfanter qui serait lui "normal," ce n'est pas une décision qui vient en négatif, c'est exprimer autre chose, vivre autrement, avoir d'autres engagements, d'autres objectifs de vie. Merde, bien avant d'être une mère, une femme est une femme.

En écrivant, je pense à Edith Vallée qui a travaillé sur le sujet et écrit Pas d'enfant dit-elle, dont j'ai perdu la trace. Sait-on jamais Edith, si tu passes par ici, contacte-moi, nous nous reconnaitrons vite, j'aimerais tant que l'on puisse se revoir ! Toi qui t'es toujours insurgée contre ces fausses évidences qui assimilent la femme à la mère.
Merci aussi à Angela Iacub, à Virginie Despentes, à tant d'autres qui réfléchissent sur les voies de la féminité et de la masculinité.

PS - Si quelqu'un me parle de mon pseudo, je l'étrangle : meerkat ne renvoie pas à mére-cat, pas du tout, ça se prononce mir-cat. rl-)
(encore que mère d'un enfant chat aurait pu me convenir, il aurait vite su s'assumer et je n'aurais pas eu à l'envoyer à l'école !).

Edit : des liens vers des billets sur d'autres expériences tournant autour de ces questions, ave




dimanche 8 avril 2007
Les auxiliaires de vie
http://laporteouverte.blogspot.com

J'entends souvent dire que d'aucuns ont tout pour être heureux... Mais d'aucuns ne le sont pas. La panoplie du tout heureux est caricaturale : un métier, une âme soeur, un toit, des enfants. Il y a aussi des accessoires au bonheur en kit à monter soi-même : la belle voiture, le chien, le home cinéma, la toile de maître, les vêtements de marque, les dîners à la table des grands chefs... Il en est qui ont tout, tout pour être heureux. Et qui ne le sont pas. Il ne faut pas confondre l'être et l'avoir... Est-ce cela qu'on appelle des "auxiliaires de vie"?
Le bonheur est un état étrange parce que, souvent, on le reconnaît quand il n'est plus, qu'il est déjà parti, passé, évanoui. On l'a caressé sans même le savoir, on l'a vécu sans le respirer. "En ce temps-là, on était heureux !"... mais le savaient-ils, en ce temps-là ?
Le bonheur se cache dans une foule de petits riens, il arrive par petite touche. Une petite main qui se loge dans la vôtre, un mot doux qui se glisse dans votre oreille, une soirée à deux à vibrer des mêmes accords, un rire qui se passe comme un virus à tous les membres de la famille.
Il existe une foule qui a tout pour être heureuse. Et qui ne l'est pas. Elle a au fond d'elle une vague de tristesse qui ne la quitte pas, une angoisse de cette vie qui ne fait que passer et qu'on ne retient pas parce qu'il n'y a rien à retenir dans cette suite de jours semblables... Vague à l'âme qui fait remonter les souffrances, les absences, les rancoeurs. Il existe une foule qui ne se trouve pas belle alors qu'elle n'est pas laide, qui ne se sent pas à la hauteur bien que marchant sur la pointe des pieds... mais c'est juste pour ne pas faire de bruit.
Le malheur des autres ne soigne pas sa propre mélancolie. Son vide, sa solitude, son incapacité à se sentir léger sont des fardeaux personnels.
Je suis convaincue que le bonheur n'est pas dans l'Avoir. Le luxe, l'argent, le faste ne m'attirent pas.
Le bonheur est dans l'Être, dans sa conviction d'avoir à savourer les instants qui ne dureront pas : pouvoir appeler ses parents quand on en a envie, leur demander tous les Pourquoi qui ont encore une ombre, entendre des cris traverser les couloirs de la maison avant qu'elle ne soit trop silencieuse, ne pas avoir à se demander de quoi demain sera fait, pouvoir encore rêver à des rencontres, des voyages ne fussent-ils qu'intérieurs, pouvoir lui dire encore Je t'aime, pouvoir marcher très vite pour se sentir léger, être lue, un peu plus chaque jour, ne s'inquiéter de rien. Tout cela n'a pas de prix puisqu'il ne s'achète pas. Le bonheur est dans l'insouciance.

mardi 25 septembre 2007

LE CAS DU C

Depuis le 3 septembre, ma vie a basculé. Retourner à 55 balais dans le moule d’une formation continue, vous bombarde de flashes back mais plus encore vous entraîne dans une dimension d’un futur immédiat, qui au quinzième jour me fait dire : ouf, c’est plus sexy que prévu.
Aide-soignant n’est pas qu’un métier, c’est une culture, une perception du rapport à autrui où vous devez oublier vos a-priori pour tenter de vous hisser à ces valeurs singulières du monde médical. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre dans ces premiers jours où les principales cadres-infirmières attachées à la formation nous ont délivré les premiers messages. On sent dans la diversité des cursus de ces femmes, ce socle commun qui vous fait dire : c’est pas un job comme un autre.
J’ai donc cherché à comprendre ce qui différenciait tant de la culture industrielle ou de celle du tertiaire. Vous me direz mais enfin la finalité du job est la santé d’une personne.
Oui évidemment mais c’est justement là que tout commence.
Ce qu’il y a de cardinal dans cette dimension : c’est la continuité du soin.
Et que tous les glandus du service public ne me sortent pas, “béh comme nous”.
Non, heureusement pas comme vous?. Quand on voit comme au fil des ans la défense du ”service public” s’est fixée comme un symptôme compulsif de cette société en crise, on ne peut réellement pas dire que ces grèves pénalisant en priorité les autres salariés sans prendre la mesure des conséquences imposées répondent sur le même plan.
La continuité du soin est une sorte de “pierre angulaire” : tenant l’édifice. Cette notion n’a rien d’anodin, l’intégrer, la faire sienne est accepter de se faire cette violence d’assurer le service, de ne pas déserter. C’est sous cet angle que me sont apparues ces “amazones” (nous avons pas eu à faire encore à des cadres infirmiers-hommes). Même si chacune a son style, sa subtilité, son langage, il y a un soldat en chacune, qui veille. Sur vous, sur moi. Pensez à ce credo qui transparait dans les séries américaines sur leurs multiples guerres : “ne jamais laisser un corps tombé” & vous comprendrez mieux la psychologie de ce corps.
Je suis astreint à un devoir de réserve.
Par expérience personnelle, je sais le sens de ces mots. Il m’est arrivé une étrange histoire, il y a 2 bonnes dizaines d’années. Je participais à une fête entre ami(e)s. La fête allait bon train, bonhomme & agréable, s’était un printemps niçois où la nuit promettait d’être longue. Il y avait parmi nous un ami d’un ami qui était psy! (pas nécessaire de préciser les autres syllabes). À entendre le bourdonnement autour de lui, je m’approchais, grappillant un premier mot, puis un second, mon esprit aspiré fendit le groupe jusqu’au locuteur, là face à lui, ma main le saisit au collet & l’entraîna vers la première fenêtre ouverte tandis que ma colére : vive, légendait , “je croyais que vous êtiez tenu au secret professionnel”, non seulement je connais la personne dont vous parlez mais c’est ma mère”, ma main serrait plus fort à chaque aveu penchant le gonze au dessus du jardin tandis que les convives tentaient de jouer les casques bleus.
Tout un chacun narre des anecdotes, avec “sa vérité” son regard. Les blogs en sont pleins comme nos vies quotidiennes, ce peut être plein d’enseignement, parfois intéressant, il demeure que tout n’est pas utile à rapporter & surtout n’importe comment, avec partialité & donc déformations manifestes.

En initiant ce blog, je me suis dit que la garantie était que les lecteurs & les rédacteurs/rices éventuels jouent le jeu d’un engagement par cette sorte d’abonnement “choisi” & pour ceux qui souhaitent écrire : s’impliquer sous leur identité.
J’ai pour ma part le souci d’assummer mes actes & mes dire.

R.I.P.

Repose,
repose pour ces siècles sans repos que les métastases t'ont imposé.
Repose, pour cette torsade du temps sur ton corps choisi :
Fémur gauche, clavicule droite, vertèbre d7, pancréas : sablier de la douleur
& tes yeux visionnant le fléau de l'intérieur.

Père,
je prononce ces deux syllabes anodines,
ta respiration saccadée me répond.
Père,
leur écho & ton souffle refondent l'essence du mot.
Père, mon murmure s'élève comme un mantra chambre 203-

Corps d'Abraham sur l'autel
dans un scénario inversé qui t'ôte/todt à ma vue & je ne suis pas Isaac & tu n'es pas Abraham-

Dans les méandres hermétiques de la phrase, le sens caché.
Père,
en mon esprit des visions m'agenouillent.
Père,
j'ai vu tes larmes, mille fois saintes,
emporter tes rêves sans retour.
Tes lèvres asséchées
s'insurger contre le sort & l'impuissance de tous
dans des prêches muets & sans illusion.

Je t'ai vu m'accueillir à ton chevet
& tu savais que je ne te tirerai pas de ce mauvais pas
& tu me souriais quand même.
Père,
saurai-je aimer ainsi?

REQUIEM : j'ai vu la mort conquérir son mental qui résistait à la frayeur/inventant des parades magiques
pour surseoir ou conjurer l'inéluctable.
J'ai vu avec quelle attention il plaçait près de son lit une statuette en plastique, inattendue Vierge Marie
qu'il ne voulait pas perdre du regard & j'ignorais la vertu de l'objet mais devinais qu'une femme priait pour lui
& qu'il priait avec elle. J'ai vu plus tard un bout de ficelle en écharpe sur la statuette, un inexplicable bout de ficelle revenu avec un pyjama prêté à un voisin : -lien entre deux êtres noués dans la souffrance-
J'ai vu la photo d'identité d'une "grande-petite-fille" qui lui avait écrit & il cherchait à la placer dans la montre à gousset de grand -mère, histoire de préserver l'inaltérable. Elle se prénommait Laetitia & Gainsbourg chantait -L/A e dans l'A T I T I A!
J'ai vu la mort coloniser son corps amaigri & fragile.
J'ai vu la morphine broder son imaginaire de fil de péche que ses mains embobinaient avec soin
jusqu'à ce qu'un éclair rémanent de lucidité le fasse sursauter & le rende définitivement perplexe sur son état.

J'ai vu la douleur se rire des cocktails antalgiques & le traquer sans répit, tordant son corps en quête d'une position de moindre souffrance.
J'ai vu ses yeux fixer la porte dans l'attente de l'ange blanc
qui le délivrerait : un moment.
Et sa prière montait quand la sainte à la seringue entrait
"ô faites moi dormir"
& l'ange pâlissait en répandant la délivrance.

J'ai vu un homme courir les routes à 5 h du matin, le 25 décembre pour trouver un médecin.
Et ce même homme vint 55 jours durant par ce qu'il se disait son ami.
J'ai vu un autre faire plusieurs milliers de kms pour assister sa soeur dans cette épreuve & c'était aussi son ami. J'ai vu un troisième chercher un roi crétois dans le dictionnaire pour compléter sa grille de mots croisés : c'était son médecin de famille, il se tenait en retrait tandis que sa femme parlait à Marcel. C'était un dimanche.

J'ai vu son corps lutter, armé de sa seule patience, de l'amour de sa compagne,
d'un espoir insensé en un Eden en Corrèze.
J'ai vu son corps s'imposer des marches jusqu'à la salle de détente,
transpirer & fier de piètiner les termites qui le minaient.
Et il disait son espoir pour qu'on aît de l'espoir.
J'ai vu un ange blanc passer chaque jour dans sa chambre à la fin de son job.
Elle venait du Nord, aimait parler italien & chantonnait dans la journée.
Pour lui un rayon de soleil dans sa nuit!

J'ai vu comment les métastases le travaillaient
dans des harcèlements asymétriques l'acculant sur la couche.
Et il se redressait grimaçant, refusant la défaite,
se levait, passait son peignoir
dans un geste de torero blessé mais debout.
J'ai vu sa volonté inventer une dernière parade pour se déplacer.
Positionnant sa béquille
à équidistance de ses jambes & grappiller les centimètres
dans une translation isocèle.
J'ai vu son corps jaunir comme un antique papyrus
& il n'était pas nécessaire de décrypter le sens.

J'ai vu la faim le déserter tandis que de saintes femmes lui préparaient
du gratin de courge, des tartes à la courge
par ce que c'était saison & tradition
par ce que c'était ce qu'il aimait : avant!
J'ai vu son appétit reprendre
& sa femme coupait fin un faux filet & il en mâchait trois bouchées
interrogeant d'un "Ai-je-bien mangé aujourd'hui?"
J'ai vu son odorat lire à distance le plateau-repas avec précision
& parier avec humour que c'était immangeable & c'était immangeable!
J'ai vu trois mages lui apporter des mandarines, du nougat, de la tisane
& c'étaient de saintes femmes!
J'ai vu un de ses amis, désemparé devant son corps alité.
Demander ce qu'il aimerait & la voix déjà lointaine murmura "des mandarines"
& l'homme revint avec des mandarines.
J'ai entendu ce même homme pleurer au téléphone.
Lui aussi, mille fois Saint!
J'ai vu une femme venir s'enquérir de son état
parce que "les amis de la forêt" ne le voyaient plus promener sa chienne.
Elle ignorait son nom, l'appelait "Monsieur Celia" & il fut heureux & surpris du témoignage!
J'ai vu un de ses complices lui rappeler d'homériques parties de pêche
& son enthousiasme cherchait à faire des miracles
tandis que Marcel entre douleur & morphine
écoutait le conteur sans mordre à l'hameçon
mais heureux d'avoir vécu ces moments!

J'ai vu son regard en arrêt sur image lors d'un téléfilm US.
"Achève moi" criait un marine, corps scié par une mine
& je ne pouvais pas zapper car il tenait la télécommande!
Je l'ai vu répondre brillamment à "Questions pour un champion".
Il riait de sa vivacité & de notre stupéfaction
& je l'ai disqualifié pour prise abusive de produits dopants.
Ce fut notre dernier rire partagé!

J'ai vu sa femme lui adresser des messages du regard & il cherchait sa main
& je les ai laissés à leur dialogue secret!
J'ai entendu sa voix approximative
faire la chronologie de sa maladie à des médecins plus ou moins attentifs
& leur diagnostic sans appel! Et je me souvins des marches qu'il s'imposait
sur le conseil d'un cancérologue qui lui diagnostiquait une arthrose.
Je l'ai vu vouloir croire en la compétence d'un autre & il l'attendait tandis que le susdit téléphonait qu'il ne pouvait pas se déplacer, qu'il travaillait 16 h par jour, qu'il ne pouvait plus rien faire!
J'ai vu son visage convaincu d'avoir été abandonné dans un parking mal aseptisé
& il n'avait pas tort!
J'ai vu un médecin anesthésiste faire 15 kms pour le soulager des douleurs à la clavicule & au fémur
mais il ne put rien faire quand les métastases flambèrent le pancréas.
Pour lui, il fut le seul messie!
J'ai tenu sa verge dans l'urinal tandis qu'il s'efforçait de rester assis au bord du lit
& sa pudeur aussi l'écartelait. J'ai vu ses jambes le trahir tandis qu'un coup de fil chaleureux le rappelait à la vie
& sa voix eût la force de remercier.
J'ai tenu sa verge dans l'urinal 48 h plus tard, la douleur l'immobilisait & j'enfonçais le réceptacle dans le matelas pour éviter qu'il ne déborde.
J'ai vu son visage au matin , tatoué par la frayeur d'être tombé
& dans l'hallali il implorait mon regard fixé sur les ridelles du lit,
la boucle se bouclait & mon désarroi à dix mille lieux du sien!

Je l'ai vu demander la date & l'heure & le moment d'après tout semblait effacé.
Il refusait le moscantin, certain de l'avoir pris & il était inutile d'insister!
J'ai vu lors d'un soin, son corps endormi se réveiller sous la douleur d'un geste malheureux d'une assistante & son corps martyr criait "au secours, au secours" frappant de ses derniéres forces d'innocentes jeunes -femmes, tandis que l'infirmière en chef veillait à ce qu'il n'arrache pas sa perfusion & je pleurais en tenant sa main, de désespoir, de rage, d'impuissance & sa femme pleurait aussi!
J'ai vu sa bouche happer l'air sur un tempo d'enfer & j'imaginais que son coeur allait exploser & la nuit fut martelée de l'insoutenable pulsation jusqu'à ce que le médecin de garde modifie le traitement.
J'ai entendu un médecin lâcher à 2 m de son lit : "dur, dur ", son dernier diagnostic. Un autre , le soir jouer du stéthoscope pour se donner une contenance & apostropher l'infirmière qui aspirait les glaires du mourant d'un "bon courage" & : sortir. Cette jeune femme mille fois sainte!
J'ai vu un soir un médecin que j'avais tancé, venir l'ausculter. Le corps endormi respirait avec difficulté.
Il nous demanda de rester assis tandis que la tête penchée près de celle de Marcel, il psalmodia le "confiteor".
Nous étions sans voix & les poumons de Marcel reprirent leur oxygénation.
Puis il vint vers nous, nous expliqua qu'il n'avait pas d'explications, qu'il avait pensé que nous étions catholiques & qu'il aurait dit une sourate si nous avions été musulmans. Il était juif tunisien.
Lui aussi, mille fois saint!
J'ai vu l'aube du cinquante cinquième jour se lever comme un crépuscule
tandis que son dernier poumon oxygénait le corps symbolique.
Je reçus son dernier courrier, une carte postale calligraphiée de tendresse.
Il avait depuis longtemps anticipé ce contenu que ses yeux ne liraient pas
& les larmes de la jeune fille qui avait écrit.
J'ai vu deux aides soignantes laver son corps avec délicatesse, le parfumer, le raser, enduire ses jambes de biafine, nettoyer sa bouche encombrée & il était dans un sommeil profond.
Ces deux femmes mille fois sainte!

J'ai entendu son souffle syncopé comme un kaddish singulier fredonner son attachement à la vie qui le fuyait!

J'ai vu sa respiration ralentir , se suspendre
tandis qu'une jeune femme essuyait la transpiration sur son torse
j'ai entendu la respiration repartir d'un râle bruyant
& la jeune femme surprise, cria, recula, sortit, revint, prit le pouls
& son regard dans mon regard déposa l'essentiel.

J'ai vu son cercueil de bois passer
sous l'immense croix en béton de l'église Saint Charles de Rocheville
dont il avait fait le ferraillage
& je pensais à tous les bâtisseurs de cathédrale
partis comme lui dans l'anonymat de l'éternité
& le prêtre ignorant l'anecdote poursuivit son oraison.
REPOSE!
tandis que notre mémoire veille & raconte
ton passage trop furtif!
R.I.P.